L’entrepreneur riddan est la ValaiStar de février pour avoir réussi à commercialiser en Asie une machine industrielle capable de produire des jeans plus écologiques selon un procédé unique au monde.
David Crettenand, vous êtes la ValaiStar de février pour avoir réussi à industrialiser et à commercialiser un procédé qui rend les jeans plus écologiques plus de dix ans après une solution unique au monde trouvée en laboratoire. C’est la victoire de la persévérance ?
Ou de la patience. (Rires.) Jamais je n’avais pensé qu’il serait aussi difficile d’entrer dans ce monde industriel alors que vous proposez une solution novatrice et rentable. Mais les soixante actionnaires de la société RedElec peuvent être encore plus fiers que moi d’être la ValaiStar de février.
Pourquoi ?
Parce qu’ils y ont cru dès le début en injectant des sommes entre 10 000 et 50 000 francs, alors que d’autres me disaient que nous n’avions aucune chance de réussir dans ce domaine. Nous avons pu lever près de 1 million de francs, ce qui est beaucoup. Et contrairement à ce qu’on m’avait prédit, ce type d’investisseurs qui sont des proches ne m’ont jamais mis de pression, même dans les moments les plus délicats. Au contraire… C’est donc grâce à eux si on en est là aujourd’hui.
Pourquoi vous a-t-on dit à de nombreuses reprises que vous n’aviez aucune chance ?
Déjà parce que personne ne croit au projet des autres tant qu’il n’est pas réalisé. Ensuite, à l’époque, l’électrochimie n’intéressait plus grand monde, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Comme doctorant, on me disait que je ne trouverais aucun fonds pour financer des développements dans ce secteur. Mais je voulais déjà démontrer qu’avec les cleantech, on pouvait utiliser moins de matières premières. C’est ma philosophie de base qui lie écologie et économie : la technologie peut permettre de corriger certaines dérives du capitalisme en matière de durabilité et je voulais le démontrer à travers mon travail.
A la fin de votre doctorat, vous possédez à l’échelle du laboratoire une solution nouvelle pour produire un jeans plus écologique de manière rentable. Vous pensiez donc pouvoir rapidement convaincre les producteurs de textile ?
Oui, mais on m’avait prévenu que ce serait difficile dans ce domaine, car la chaîne du textile est très découpée dans une économie complètement linéaire. Les producteurs de tissus, nos potentiels clients, avaient trop de pression des distributeurs pour nous aider financièrement. Et ces distributeurs ne voyaient pas l’intérêt pour eux d’annoncer une gamme de jeans écologiques qui pourrait poser un problème d’image pour le reste de la production.
Qu’est-ce qui a été décisif au final ?
L’intérêt d’une société textile suisse, Loepfe, appartenant à un groupe italien avec qui nous avons trouvé un accord pour un investissement de 2 millions. Une filiale valaisanne, Sedo Engineering, a été créée et a permis de finaliser l’industrialisation et la commercialisation de notre technologie électrochimique.
Comment les avez-vous trouvés ?
Grâce à un ingénieur saint-gallois qui y travaillait et qui est venu nous rencontrer suite à un article dans la NZZ nous concernant. Il a été convaincu par notre projet, nous a emmenés en Chine sur une grande foire de machines textiles. Trois ans plus tard, il est revenu nous voir en disant qu’en Chine on demandait toujours des nouvelles de notre développement. Les négociations avec les Italiens ont pu démarrer car ils voulaient avoir des sociétés innovantes pour augmenter leur valeur. Mais elles ont été longues et j’ai appris à dire non. (Rires.)
C’est-à-dire ?
Tant que l’accord nous était défavorable, nous avons toujours osé dire non alors que certaines fois on était vraiment en apnée financière.
Que représente pour vous la vente de cette première machine industrielle au Pakistan ?
Elle change complètement notre positionnement dans cette industrie avec une image de Petit Poucet qui est en train de s’atténuer. Aujourd’hui, huit autres machines ont été commandées et on peut imaginer d’ici à deux ans employer près de trente personnes en Valais. Et on restera dans l’histoire de l’industrie textile pour y avoir amené un nouveau procédé de teinture qui divise par huit l’empreinte écologique de la teinture des jeans. Ça, personne ne pourra nous l’enlever.
Y a-t-il encore des risques d’échec ?
Il y a toujours des risques d’échec. Il faut notamment que nos machines ne connaissent pas de soucis techniques sinon nos concurrents diront rapidement qu’elles ne sont pas fiables, ce qui n’est absolument pas le cas.
Revenons à votre engagement de base qui lie écologie et économie. On peut vous reprocher de travailler dans un domaine – le textile – qui n’a pas de véritable sensibilité écologique et avec un développement dans des pays du tiers-monde – Pakistan, Bangladesh – où les conditions de travail posent souvent problème…
Notre machine est de haute technologie et ne nécessite le travail que d’un employé qualifié sur place et le reste se règle depuis Riddes. Ensuite, sur le plan écologique, si notre solution est utilisée à terme par l’ensemble de la branche du jeans, on pourra économiser en énergie jusqu’à l’équivalent de production d’une centrale nucléaire. Simplement grâce à un procédé qui rend plus écologique une partie de la fabrication d’un vêtement. C’est pas mal, non? Et ça montre surtout les perspectives que peuvent apporter les nouvelles technologies pour réduire la part des énergies fossiles. Mais on ne pourra pas le faire tant que l’on continuera à subventionner ces énergies fossiles.
Là vous prenez votre casquette d’homme politique député PLR et président d’Avenir Ecologie. C’est votre travail qui vous a amené à la politique ?
Oui, complètement. Jeune, je n’ai jamais été membre d’un parti. Quand j’ai lancé mon entreprise, mon oncle Narcisse Crettenand, engagé en politique, m’a soutenu et c’est Isabelle Chevalley, à l’origine du mouvement Ecologie libérale, qui m’a convaincu d’y adhérer.
Et où peut-on le plus influencer le cours des choses : dans l’économie ou en politique?
Il faut le faire des deux côtés. Je partage l’avis des Verts d’agir pour le climat, mais pas uniquement en mettant le pied sur le frein. Je prône plus de place et de moyens pour les nouvelles technologies qui permettront de corriger certaines dérives actuelles sans devoir renoncer à une certaine qualité de vie.
Les manifestations sur le climat de ce début d’année ont-elles changé quelque chose selon vous ?
Oui. Dans les partis traditionnels, elles ont changé la perception de ce combat, à commencer par le PLR suisse qui est prêt à revoir sa copie sur la loi sur le CO2. Au début, les membres d’Avenir Ecologie n’étaient peut-être pas vraiment pris au sérieux au sein du PLR. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui.
Article complet: Nouvelliste du 15 mars 2019 par Vincent Fragnière